Explication sur la notion de “Maitre de l’affaire”
La notion de « maître de l’affaire » en droit fiscal français : un outil de présomption pour l’imposition des distributions occultes
En droit fiscal français, la notion de « maître de l’affaire » est un concept jurisprudentiel permettant à l’administration fiscale d’imposer un contribuable au titre de revenus réputés distribués, même en l’absence de preuve directe de l’appréhension des sommes. Cette notion est particulièrement utilisée dans le cadre des distributions occultes, en application des articles 109, 1, 1° et 111, c du Code général des impôts (CGI).
Définition et portée de la notion
Le « maître de l’affaire » est défini par la jurisprudence comme la personne qui exerce la responsabilité effective de l’ensemble de la gestion administrative, commerciale et financière de la société, et qui dispose sans contrôle des fonds. Cette qualité permet à l’administration fiscale de présumer que cette personne a appréhendé les bénéfices non déclarés ou les avantages occultes, sans avoir à apporter la preuve d’un versement effectif.
Cette présomption a été consacrée par le Conseil d’État dans un arrêt du 13 juin 2016 (n° 391240), où il a été jugé que la qualité de maître de l’affaire suffit à établir l’appréhension des distributions occultes, indépendamment de la preuve d’un bénéfice personnel.
Conditions d’application
Pour que la présomption s’applique, l’administration doit établir que le contribuable est le seul maître de l’affaire. En cas de pluralité de maîtres de l’affaire, la présomption ne joue pas, et l’administration doit alors démontrer qui a effectivement bénéficié des sommes et dans quelle proportion. Cette position a été rappelée par le Conseil d’État dans un arrêt du 22 février 2017 (n° 388887).
Une exception à cette règle a été admise dans le cas où la maîtrise de l’affaire est exercée conjointement par deux personnes soumises à une imposition commune à l’impôt sur le revenu, comme un couple marié. Dans ce cas, la présomption peut s’appliquer à l’ensemble du couple.
Illustration jurisprudentielle
Dans une affaire jugée par la Cour administrative d’appel de Lyon le 3 novembre 2020 (n° 18LY03817), un associé détenant 25 % des parts d’une société exploitant une pharmacie a été considéré comme le maître de l’affaire en raison de son rôle de dirigeant unique, de sa majorité des droits de vote et de sa signature exclusive sur les comptes bancaires. La cour a jugé que, malgré sa participation minoritaire au capital, il exerçait un contrôle effectif sur la société, justifiant ainsi l’application de la présomption de distribution. Une décision récente de la CAA de Paris souligne que pour caractériser la qualité de « maître de l’affaire » — condition nécessaire à l’application par l’Administration de la présomption d’appréhension des revenus réputés distribués — il est indispensable d’apprécier concrètement les modalités de gestion de la société à travers un faisceau d’indices (CAA Paris, 17 janvier 2025 n°23PA03012).
Extension de la théorie
Initialement appliquée aux distributions occultes en vertu de l’article 109, 1, 1° du CGI, la théorie du maître de l’affaire a été étendue à l’article 111, c du CGI, relatif aux rémunérations et avantages occultes. Le Conseil d’État a ainsi jugé que la qualité de maître de l’affaire permet de présumer l’appréhension de ces avantages, même sans preuve directe.
Limites et précautions
La présomption liée à la qualité de maître de l’affaire peut être remise en cause si des éléments objectifs viennent contredire cette qualité, tels que la mise sous contrôle judiciaire de la société ou la nomination d’un administrateur provisoire. Dans ce cas, l’administration doit apporter la preuve de l’appréhension effective des sommes.
Conclusion
La notion de maître de l’affaire constitue un outil puissant pour l’administration fiscale dans la lutte contre les distributions occultes. Elle permet d’imposer un contribuable sur la base de son contrôle effectif de la société, sans nécessiter la preuve d’un bénéfice personnel. Toutefois, son application est encadrée par des conditions strictes et peut être contestée en présence d’éléments contraires.